Supervision : focus sur l'émotion du thérapeute supervisé
GIE Supervision


Retrouvez l'article du GIE Supervision paru dans le Contingence d'avril.

 

TEXTE DE L'ÉQUIPE DU GIE SUPERVISION POUR CONTINGENCES MARS 2025

Le Groupement d'Intérêt et d'Étude sur la SUPERVISION participe aux actions de l'AFTCC visant à offrir aux thérapeutes praticiens une supervision de qualité par des mises à jour basées sur la littérature scientifique et l'expérience des contributeurs.

Depuis 2021, notre petite équipe de passionnés propose :

  • Deux fois par an, une rencontre d'échange au sein des congrès de l'AFTCC. La prochaine aura lieu au Colloque Francophone (international) de TCC à Bordeaux 26-28 mai 2025.

  • Des communications dans les congrès, notamment en mai prochain à Bordeaux.

  • Des conférences webinaires, récemment le lundi 24 mars 2025 à 19 h, sur le thème : « La supervision à l’AFTCC, qu’est-ce que c’est ? » et…

  • Des partages de résumés de publications internationales comme dans ce numéro de « Contingences ».

SUPERVISION : FOCUS SUR L’EMOTION DU THERAPEUTE SUPERVISE

La supervision possède comme mission centrale le contrôle des bonnes pratiques de la TCC (pour la sécurité des patients) et leur transmission, dans un but de progression des compétences du supervisé et de son bien-être dans son rôle professionnel.

La mobilisation émotionnelle est essentielle au processus thérapeutique en TCC.

Quelle place aux émotions pendant les séances de supervision ? Par exemple, un thérapeute compétent et autonome en TCC, mais qui est en phase d’exploration du rôle de la pleine conscience en TCC, peut douter de lui-même, stresser et se sentir incompétent et inadéquat en supervision.

Chiara Lombardo, 2009, invite le superviseur à prendre en compte les émotions du supervisé et à formuler les enjeux comme une étape importante pour apprendre et gagner en compétence.

Ainsi, la supervision ne se limite pas au développement des connaissances et des capacités du thérapeute/supervisé, mais elle inclut aussi les dimensions émotionnelles et affectives (Christine Reuilly, 2000).

Les émotions induites par des situations thérapeutiques stressantes et celles ressenties par le thérapeute sans être identifiées, nommées et abordées, finissent par diminuer la concentration et la motivation du supervisé dans la supervision et influer sur les résultats de la thérapie cognitive qu’il entreprend avec son patient.

Nous aborderons successivement dans ce qui suit l’impact des émotions du thérapeute sur la thérapie ; l’importance du thérapeute de prendre conscience de ses émotions ; les moyens de prendre conscience de ses émotions et la place des émotions dans l’attitude du superviseur.

IMPACT DES EMOTIONS DU THERAPEUTE SUR LA THERAPIE

Si le thérapeute ne gère pas ses émotions, elles impactent l’efficacité du traitement thérapeutique :

  • Ceci ne permet pas au patient de s’engager dans la thérapie et impacte la qualité de l’alliance et de la relation thérapeutique

  • Ceci ne favorise pas le travail émotionnel du patient en omettant de faire des jeux de rôle ou des techniques de re-parentage, par exemple

  • Ceci ne laissera pas d’accès aux problématiques de personnalité du patient et à l’émotion ressentie par l’entourage de ce dernier, qui est semblable à l’émotion ressentie par le thérapeute, postulat de base des thérapies ACT et des thérapies basées sur la pleine conscience.

IMPORTANCE DU THERAPEUTE DE PRENDRE CONSCIENCE DE SES EMOTIONS

Le thérapeute qui prend conscience de ses émotions est apte à identifier les problèmes de son patient et les problèmes dans le travail thérapeutique :

  • Il est plus à même de comprendre les émotions de son patient et de lui montrer plus d’empathie

  • Il est plus présent et concentré sur les objectifs du patient, renforce l’ici et maintenant et la (pleine) conscience du moment présent

  • Il ne lutte pas contre les émotions et les expérimente sans s’en défendre

  • Il ne fait pas des évitements lors des supervisions, ce qui lui permet d’apprendre de nouvelles compétences.

QUELS SONT LES MOYENS DE PRENDRE CONSCIENCE DE SES EMOTIONS ?

Le thérapeute s’entraîne à la prise de conscience de ses émotions selon un modèle en 4 étapes (Victoria Follette et Sonja Batten, 2000) :

  1. Il développe ses compétences personnelles de prise de conscience de ses émotions, compétence essentielle pour tout thérapeute, et c'est une compétence qu'un superviseur de thérapie cognitive abordera au cours de la supervision par les exercices suivants :

    • Remplissage d’auto-enregistrements de pensées dysfonctionnelles-émotions pour la supervision ; en cas de difficulté à identifier et nommer les émotions, un exercice de décentration est possible, par exemple, « Comment se sentirait votre collègue dans cette situation ? »

    • Travail sur l’enregistrement de séance dont l’analyse fine, notamment de changement de style traduisant une réponse émotionnelle. Le travail sur document enregistré in vivo (avec l’accord du patient) fonctionne comme une re-contextualisation plus objective permettant l’analyse fonctionnelle de thérapeute et l’accès à ses pensées automatiques

    • Jeux de rôle pour la prise de conscience mais aussi l’entraînement au partage de ses ressentis émotionnels gênants (tel que la frustration, la confusion ou la gêne…).

  2. Il applique la prise de conscience émotionnelle de ses propres émotions en séance : la conscience des thérapeutes de leurs propres émotions au quotidien induit une plus grande précision au repérage de ses émotions lors des séances de thérapie. La métaphore du « petit vélo » rappelle amplement l’attention continue que le thérapeute doit avoir pour ses émotions-cognitions au cours de la thérapie.

  3. Il fait le lien entre les comportements et les contenus émotionnels exprimés par le patient avec sa propre histoire pour qu’elle n’interfère pas dans le travail thérapeutique.

  4. Il utilise le contenu émotionnel exprimé par le patient, construit l’analyse fonctionnelle des problèmes du patient et forge des hypothèses de travail thérapeutique.

PLACE DES EMOTIONS DANS L'ATTITUDE DU SUPERVISEUR

- Le superviseur doit être disposé à aborder des problèmes émotionnels complexes avec le supervisé et à l'aider à gérer ses réactions émotionnelles vis-à-vis de ses patients. La volonté des superviseurs d'être émotionnellement présents est cruciale dans la relation de supervision. Il appartient au superviseur de mettre en pratique ce « qu’il prêche », et d’accorder une grande attention aux émotions ressenties par le supervisé afin d’éviter toute rupture au sein de l'alliance de supervision (Chiara Lombardo, 2009).

- Le superviseur a la responsabilité d’aider le supervisé à progresser dans sa prise de conscience, sa gestion et son utilisation thérapeutique de ses émotions. Il évalue de même la présence d’éventuel nœud émotionnel du supervisé dans la situation-problème travaillée qui pourrait avoir un impact négatif sur le patient. Ces temps de travail délicats peuvent être inconfortables, tant pour le superviseur que pour le supervisé. Le superviseur tente d’incarner les valeurs de la TCCE, d’objectivité et de bienveillance notamment.

- Le superviseur tente d’apporter de la clarté et des ressources pour une gestion efficace des données émotionnelles. Dans leur article de 2000, Rachel Kimerling et ses collègues proposent un éclairage nosographique des émotions du thérapeute face au patient en mettant en exergue l’importance de la supervision pour cet apprentissage. Tout en normalisant la présence des émotions chez les thérapeutes (les plus novices se sentant facilement en faute ou débordé), ils distinguent :

-Les émotions « intrinsèques », humaines et naturelles en réponse à un stimulus ou un contexte social, par exemple, être ému d’un récit d’accident. L’axe de travail principal en supervision serait de reprendre la conceptualisation du cas pour identifier à quoi le thérapeute/supervisé a réagi, au lieu de se focaliser sur une interprétation rapide ou sans preuve


-Les émotions liées au rôle de thérapeute, par exemple, une fatigue ou une irritation sous l’effet de l’enchaînement de plusieurs patients difficiles rapprochés. La difficulté face à des charges émotionnelles et relationnelles lourdes ou des responsabilités importantes est absolument normale, elle souligne l’application du thérapeute et les risques de burn-out. L’espace de supervision se doit d’offrir un soulagement émotionnel et la recherche de perspectives et de moyens précis d’évaluation de ces situations professionnelles.


-Les émotions relevant de l’histoire personnelle du supervisé, « idiosyncrasiques » : par exemple, travailler avec une personne victime d’abus quand le thérapeute en a subi également (activation en miroir, projective également, activant des pensées automatiques et des schémas plus ou moins clairs pour le thérapeute). L’analyse fonctionnelle de l’interaction patient/supervisé permet de mettre ces émotions en ressenti et en mots. Avec respect et délicatesse, dans un cadre sécure ménageant une confidentialité absolue, le superviseur ne développera de pont avec l’histoire personnelle du supervisé que si celui-ci le souhaite. Il délimitera la place respective de la supervision et d’une thérapie individuelle. Pourtant, quand un thérapeute identifie les domaines sensibles qu’il a en commun avec son patient, et les a déjà travaillés, l’alliance le plus souvent est majorée.


-Les émotions relevant de confrontations avec les valeurs individuelles du thérapeute, manifestant un conflit éthique ou moral souvent peu lucide. Par exemple, le faible investissement d’un thérapeute interprétant abusivement le manque de production et de répartie d’un émigré parlant peu le français comme un manque de sérieux ; ou l’admiration aveuglante pour une personne ayant une certaine notoriété. La supervision se doit d’être un espace pour échanger à ce propos et inciter à être au clair avec l’impact personnel des positions sexuelles, religieuses, politiques, culturelles et éthiques possibles. Le superviseur ramène aux règles de la profession, en s’appuyant sur les valeurs communes dans le travail entre le thérapeute et le patient.


-Enfin, les émotions informatives, telles de bonnes intuitions, produites par certaines caractéristiques sémiologiques peu saillantes du patient. Par exemple, l’importance de noter le sentiment de gêne produit chez le thérapeute par l’attitude de retrait excessive d’un patient, ruminant sans les partager des idées noires. Le superviseur utilise l’émotion du thérapeute comme le signal d’un aspect spécifique de cette situation et aide, par son questionnement socratique bienveillant et organisé, à mettre à jour ce qui restait mal compris. D’autre part, dans une dynamique de « croissance » du supervisé, il aide celui-ci à découvrir progressivement son propre style émotionnel pour mieux repérer celui de ses patients ; puis à apprendre à exprimer le vécu émotionnel partagé, ce qui augmentera l’alliance thérapeutique.

Donc, autant le thérapeute est attentif et tend à valider les émotions de son patient, autant s’il n’est pas attentif à ses propres états émotionnels, il pourrait induire des comportements « émotionnels » néfastes pour l’alliance thérapeutique et par conséquent sur le résultat et l’efficacité de la thérapie.

Christine Reilly pointait dès 2000 que le thérapeute est un humain, pas une Intelligence Artificielle infatigable, avec ses fluctuations émotionnelles et énergiques, dans le cours d’une séance parfois. Ainsi, un coup de barre, réduisant son acuité émotionnelle et produisant des manifestations d’inattention, peut être interprété comme un désintéressement par un patient souffrant d’un Trouble de Personnalité Borderline et mettre en péril toute la séance.

En conclusion, à l’heure où les IA semblent très efficientes pour nous expliquer quoi faire, et bientôt prêtes à mener l’entretien à notre place, les surgissements émotionnels des thérapeutes sont-ils vraiment des embarras ? Ou des informations sensibles et utiles à la thérapie ?

D’autre part, qu’apporte le fil émotionnel confraternel et soutenant au supervisé ? Le superviseur TCC est incité à valider l'expérience émotionnelle du thérapeute supervisé, la normaliser, l’accepter sans jugement comme une donnée importante à prendre en compte. Il s’efforce de l’aborder dans l’échange, d’encourager la réflexion sur les émotions, pour le bénéfice du processus thérapeutique, du patient et du supervisé.

Enfin, rappelons qu’il est tout aussi essentiel pour le… superviseur d’être soutenu par ses pairs, d’avoir un groupe de partage et de perfectionnement. Et donc de partager son ressenti émotionnel, afin d’être serein dans sa mission… Ce que l’AFTCC met aussi en place dans des réunions d’intervisions de supervisions, qui viennent prolonger la formation initiale et dans les GIE.


Bibliographie

Follette Victoria M & Batten Sonja V (2000). Le rôle de l'émotion dans la supervision en psychothérapie : une analyse comportementale contextuelle. Pratique cognitive et comportementale, 7, 306-312.

Kimerling Rachel, Zeiss A.M., & Zeiss R.A. (2000). Therapist Emotional Responses to Patients: Building a Learning-Based Language. Cognitive and Behavioral Practice 7, 312-321.

Kimerling Rachel (2000). Special Series: Accentuating the role of therapist emotion in behavior therapy training Cognitive and Behavioral Practice 7, 304-305.

Reilly Christine E. (2000). The role of emotion in cognitive therapy, cognitive therapists, and supervision, Cognitive and Behavioral Practice, Volume 7, Issue 3, 2000, 343-345.

Batten Sonja V & Santanello Andrew P (2009). A contextual Behavioral Approach of the Role of Emotion in Psychotherapy Supervision, Training and Education in Professional Psychology.

Prasko Jann & Vyskocilova Jana (2018) Countertransference during supervision in CBT. Poster EABCT.

Chiara Lombardo, Derek Milne & Rachael Proctor (2009). Getting to the Heart of Clinical Supervision: A Theoretical Review of the Role of Emotions in Professional Development, Behavioural and Cognitive Psychotherapy, 37, 207–219.

L’équipe du GIE Supervision : DUCHESNE Nicolas, RICHA Nathalie, ROUSSELET Anne-Victoire, SIOBUD-DOROCANT Eryc, SUCHOCKA CAPUANO Agnieszka, Bertrand LLORET & DELLOUVE Charline.


Dans Groupement d’intérêt et d’étude (GIE) le 13/03/2025
Mis en ligne par: AFTCC
Webinaire du GIE supervision 24 mars à 19H : La supervision à l’AFTCC, qu’est-ce que c’est ?